En mémoire de nos poilus, nous allons, à titre d’exemple, essayer de reconstituer le parcours militaire d’Henri JAUD “ Mort pour la France ” dont nous avons relevé l’ascendance dans l’article “ L’ascendance d’un combattant de la Grande Guerre ”
Le parcours militaire d’un « Poilu » du Port-Marly
LE SOLDAT
Henri Vital JAUD est né le 25 janvier 1886 au Port-Marly, il fait donc partie de la classe 1906, bureau de recrutement de Versailles. N’ayant pas à notre disposition son livret militaire dans lequel sont enregistrées au fur et à mesure les étapes de sa carrière militaire, nous allons rechercher sa “fiche matriculaire” comme nous l’avons indiqué dans notre précédent article.
Henri JAUD a le numéro matricule 1970. Il est inscrit comme Henri Victor JAUD. Est-ce une erreur de transcription de sa fiche individuelle ? Pour l’état civil, il sera toujours Henri Vital, mais pour l’armée ce sera Henri Victor.
Son signalement permet de le sortir de l’anonymat. Il est blond, a les yeux bleus, mesure 1,61m et sait lire et écrire.
En 1907, il est ajourné à un an. Etait-il malade lors du conseil de révision ? Le médecin-major l’a-t-il trouvé trop faible ?
En 1908, on le déclare “Bon pour le Service Armé”. Le 6 octobre 1908, il est incorporé au 129ème Régiment d’Infanterie en garnison caserne Kléber au Havre. Après 18 mois de services, il est nommé soldat de 1ère classe le 13 avril 1910, distinction acquise pour sa conduite et ses aptitudes. La durée de service obligatoire étant de 2 ans, il est libéré le 1er octobre 1910. Ayant constamment servi avec honneur et fidélité, un certificat de bonne conduite lui est accordé.
Versé dans la réserve de l’armée active, il effectue deux périodes d’exercices, la 1ère de 23 jours du 16 octobre 1910 au 7 novembre 1911 au 129ème Régiment d’Infanterie au Havre, la 2ème de 17 jours du 8 au 24 juin 1914 à la compagnie de dépôt du 5ème Régiment d’Infanterie stationnée caserne DUMONT d’URVILLE à Falaise, alors qu’il est jeune marié, ayant épousé le 29 mai 1913 au Port-Marly Georgette PERRICHET.
LE COMBATTANT
Le 28 juin 1914, l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, est assassiné à Sarajevo. Dès lors, l’engrenage des alliances est enclenché. Le 1er août la mobilisation générale est décrétée. Le dimanche 2 août alors que l’ordre de mobilisation est affiché, le Maire du Port-Marly réunit le conseil municipal en séance extraordinaire et déclare « un fléau vient de s’abattre sur la France qui peut avoir des conséquences terribles » (« Rétromarlyportain 1914-1918 à Port-Marly » publié par Port-Marly Mémoire Vivante). Le 3 août l’Allemagne déclare la guerre à la France. Henri JAUD, rappelé à l’activité, part de la gare des Batignolles à Paris et arrive le 4 août au 5ème Régiment d’Infanterie à Falaise.
A la mobilisation, chaque régiment d’active met sur pied un régiment de réserve dont le numéro est le sien plus 200. Henri JAUD est ainsi affecté au 205ème Régiment d’Infanterie (3ème corps d’Armée, 53ème division d’infanterie) 5ème bataillon, 17ème compagnie. Les journaux de marche et opérations des corps de troupe (JMO), les historiques des régiments et les carnets de guerre permettent de connaître au jour le jour la vie des combattants.
Le 9 août, le régiment quitte Falaise par voie ferrée et débarque dans la région de Vervins dans l’Aisne où il est occupé à creuser des tranchées. Le 21 août, il se met en marche en direction de la Belgique, traverse La Capelle et le 23 franchit la frontière.
La “Bataille des Frontières” tournant à la défaite, les Français s’étant fait bousculer à Charleroi, JOFFRE lance le 25 août l’ordre de repli général sur la Somme et l’Aisne. Le régiment se replie sur Maubeuge et le Grand-Fayt où le 26, Henri JAUD reçoit le baptême du feu.
Le régiment poursuit sa retraite talonné par les Allemands de jour comme de nuit, effectuant de longues marches de plus en plus harassantes, subissant les alertes, les départs à l’aube et les arrivées tardives dues à l’encombrement inextricable des routes, les privations, la fatigue et les pertes. Après un vif engagement sur la Marne à Château-Thierry le 2 septembre alors que le gouvernement quitte Paris pour Bordeaux, les avant-gardes allemandes étant à Senlis et Meaux, le régiment bivouaque le 5 à Beauchery près de Provins.
Le 6 septembre, JOFFRE donne l’ordre de contre-offensive générale sur la Marne. Le régiment se porte en avant, retraverse la Marne. Le 13, il franchit l’Aisne à Berry-au-Bac mais doit évacuer ses positions devant la résistance des Allemands. Le 16, il reçoit l’ordre de tenir à tout prix les passages du canal de l’Aisne à la Marne entre Berry-au-Bac et Sapigneul. Le canal sera tenu malgré un bombardement intense et un feu nourri. C’est la première bataille de l’Aisne.
Les pertes du 15 au 18 septembre 1914 furent de 124 blessés, 1 disparu et 12 tués. Henri JAUD périt sur le champ de bataille au pont du Godat sur la commune de Berry-au-Bac le 16 septembre 1914 à 7 heures du matin. Il avait 28 ans et fut un des premiers enfants du Port-Marly à tomber au Champ d’Honneur. Son acte de décès fut rédigé sur le registre d’état civil régimentaire par Louis Henri LARCHER, adjudant-chef faisant fonction d’officier de détail au 205ème R.I., acte transcrit sur le registre d’état civil du Port-Marly le 7 juin 1915. Sa veuve, Georgette PERRICHET, âgée de 19 ans, lui survivra 60 ans. Domiciliée 4 rue Jean Jaurès au Port-Marly, elle décède le 18 septembre 1974 à Rueil-Malmaison.
HOMMAGE DE LA NATION
La loi du 2 juillet 1915 institue la mention «Mort pour la France » destinée à honorer le sacrifice des combattants morts au Champ d’Honneur. Cette mention est inscrite en marge de l’acte de décès d’Henri JAUD.
La loi du 17 avril 1916 institue un diplôme d’honneur portant en titre « Aux morts de la grande guerre, la patrie reconnaissante » remis aux familles des combattants décédés pendant la guerre 1914-1918 pour le service et la défense du pays.
La loi du 25 octobre 1919 relative à la Commémoration et à la Glorification des Morts pour la France au cours de la Grande Guerre, lance le projet d’un Livre d’Or comprenant les noms de tous les héros qui serait déposé au Panthéon. Pour chaque soldat né ou résidant dans une commune seraient indiqués son nom et prénom, sa date et lieu de naissance, son grade et son régime d’appartenance, sa date et lieu de décès. En 1929, la commune du Port-Marly rédige son « Livre d’Or » où figure Henri Victor JAUD mais en raison de contraintes budgétaires, le projet du Panthéon n’aboutit pas.
La loi du 24 octobre 1922 déclare le 11 novembre jour de commémoration nationale afin de rappeler la signature de l’armistice.
HOMMAGE DE LA COMMUNE
Le traumatisme de la Grande Guerre a déterminé les communes à rendre hommage à leurs Morts pour la Patrie.
Dans la séance extraordinaire du 6 décembre 1914, le conseil municipal du Port-Marly décide d’accorder une concession à perpétuité au milieu du cimetière et prévoit d’aménager une allée circulaire pour un monument surmonté d’une simple colonne portant l’inscription suivante : « Ici reposent les enfants de la commune de Port-Marly morts au Champ d’Honneur» (Rétromarlyportain 1914-1918 à Port-Marly)
Le Monument aux morts est érigé en 1921 par souscription publique. C’est un simple obélisque surmonté d’un coq gaulois, symbole de la vaillance militaire, juché sur un casque allemand. L’architecte-sculpteur est Charles HOFMAN, statuaire à Versailles, à qui on doit les monuments aux morts de La Souterraine dans la Creuse et de Jarville-la-Malgrange dans la Meurthe-et-Moselle. L’entrepreneur de maçonnerie est E. AUVRAY. Il porte l’inscription suivante : « Aux Enfants de Port-Marly Morts pour la France ». Parmi les noms gravés sur les quatre faces se trouve celui d’H. JAUD.
« En 1983, n’hésitant pas à s’attaquer à cette résidence sacrée, des malfrats s’emparent de cette sculpture » (« Quand Port-Marly vous est conté » de Josette DESRUES).
Le 22 septembre 1984, dans un geste symbolisant la réconciliation franco-allemande, le Président François MITTERAND et le chancelier ouest-allemand Helmut KOHL se tiennent la main à Douaumont lors de la 70ème commémoration de la bataille de Verdun. Le temps des confrontations est révolu, la sculpture ne sera jamais réinstallée.
Dans l’église Saint-Louis du Port-Marly, est apposée une plaque commémorative sur laquelle sont gravés les noms des soldats morts pendant la guerre 14-18. On y trouve le nom d’H. JAUD. Cette plaque porte l’inscription « La paroisse de Port-Marly à ses enfants morts pour la France 1914-1918 » ainsi qu’une pensée de saint Augustin (Confessions Livre X Chapitre 43) évoquant le sacrifice « ideo victor quia victima » : vainqueur parce que victime.
Raymond DIERICKX